Patricia Waongo, lauréate du CAPI 2023, nous raconte la mise en route de son projet
Patricia Waongo
Les droits humains sont un pilier fondamental de toute société juste et équitable. Dans un monde où de nombreuses personnes continuent de faire face à l’oppression, à la discrimination et à l’injustice, le rôle des jeunes défenseur·se·x·s des droits humains est plus crucial que jamais. C’est dans ce contexte que j’ai eu la chance de participer à une formation exceptionnelle à Genève du 19 au 29 août 2023, organisée par le Codap. La formation, appelée Cod’Action plaidoyer international (CAPI) a réuni des jeunes activistes pour les droits humains venant de divers pays d’Afrique (Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal), créant ainsi un environnement riche en diversité culturelle et en expériences personnelles. Cette formation a été réellement transformatrice et m’a permis de renforcer mes compétences en matière de droits humains, de plaidoyer international et de gestion de projet, tout en me donnant l’opportunité de présenter mon organisation, le Groupe de Recherche-Action sur la Sécurité Humaine (GRASH), et mon projet « Promouvoir et défendre les droits humains des personnes déplacées internes dans la région du Centre-Nord du Burkina Faso ». A ma grande satisfaction, mon projet a reçu le prix lauréat du CAPI. Ce prix – à la fois un soutien financier et technique – a permis la mise en route de mon projet et le démarrage des activités.
La mise en oeuvre du projet
Dans la mise en oeuvre de mon projet, j’ai été soutenue par Marie-Louise Ouedraogo, Responsable de projet chez Terre des Hommes au Burkina Faso, mandatée par le Codap pour l’occasion, ainsi que par Nokwendé Kere, Directeur exécutif du GRASH. Nous avons organisé différentes activités entre décembre 2023 et juin 2024. Premièrement, un panel de discussion organisé à l’Université SWISS UMEF au profit d’une cinquantaine d’étudiant·e·x·s sur le thème « Prévention et lutte contre les violences basées sur le genre au Burkina Faso : Quelles synergies d’actions entre les acteurs des universités et les organisations de la société civile ? ». Cet événement a permis aux jeunes d’échanger avec deux organisations de la société civile – le Centre pour la qualité du droit et de la justice (CQDJ) et l’Association des femmes juristes du Burkina Faso (AFJ/BF) – ainsi qu’un enseignant de l’Université autour de la question des violences basées sur le genre (VBG). Les moyens de protection et de répression de ces violences ainsi que la manière dont les étudiant·e·x·s peuvent participer à la lutte contre ce fléau ont également été mis en avant. J’ai profité de cette tribune pour présenter aux étudiant·e·x·s le Codap, la formation CAPI et le processus d’inscription. En effet, c’est une occasion en or pour tout·e·x jeune engagé·e·x pour les droits humains de développer un projet qui contribuerait à lutter contre les différentes formes de violation des droits humains. Toujours dans le cadre de la promotion de mon projet, j’ai eu l’occasion de présenter mon prix ainsi que les activités prévues lors de l’émission Bonjour le Faso de la chaîne Savane Média.
Deuxièmement, une formation en saponification a été organisée pour 20 femmes et filles déplacées internes de la ville de Kaya, dans la région du Centre-Nord du Burkina Faso. L’organisation de cette activité part du constat que les principales difficultés que rencontrent les personnes déplacées internes (PDI) au Burkina Faso sont liées au chômage et aux difficultés financières qui en découlent. Ces difficultés engendrent la régression du droit à la santé, du droit à l’éducation et même du droit à l’alimentation. De plus, elles exposent de manière accrue les femmes et les filles aux violences en tout genre. En effet, certaines femmes sont obligées de s’adonner à la prostitution ou contraintes d’avoir des relations sexuelles afin de subvenir aux besoins de leur famille. Il est donc impératif de renforcer leur autonomisation financière afin de permettre non seulement la réalisation de leurs droits sociaux, mais également de lutter contre les violences basées sur le genre (VBG). La formation en question a été organisée du 5 au 7 février 2024 pour 20 femmes et filles de différents sites de la ville. Elle a notamment été rendue possible grâce au soutien financier de deux généreux·ses donateur·rice·x·s suisses à qui j’avais eu l’opportunité de présenter mon projet lors de ma venue à Genève pour le CAPI. L’objectif de cette formation était de pallier les problèmes économiques des femmes et filles déplacées internes en leur donnant les moyens techniques et matériel de débuter une nouvelle activité génératrice de revenus (AGR). Grâce à la formation, elles ont acquis de nouvelles compétences en saponification et sont à même de les utiliser à des fins professionnelles. La formation a également permis de renforcer l’hygiène dans les sites où vivent ces femmes, participant ainsi à booster le droit à la santé des PDI. Différents modules ont été enseignés aux participantes, leur permettant non seulement de répondre à plusieurs besoins hygiéniques, mais également de pouvoir diversifier leurs AGR pour plus de rentabilité. Les participantes ont ainsi appris à fabriquer six différents types de savons, ayant tous l’avantage d’être prisés par les populations locales et, de ce fait, intéressants à la vente. Les participantes ont également été initiées au marketing et à l’entrepreneuriat par la formatrice et ont été sensibilisées sur les questions touchant aux VBG. Les institutions à saisir au cas où elles seraient victimes ou témoins de violations ou d’atteintes aux droits humains ont notamment été présentées. Il faut noter que, avant la formation, l’opinion de la plupart des participantes était de taire les VBG, surtout dans le cas de violences conjugales, afin de préserver leur réputation et celle de leur foyer. Cela témoigne de l’ampleur du travail de sensibilisation qui doit être fait auprès de la population. Toutefois, à la fin de cette session d’échanges, toutes avaient pris conscience du danger de la situation et se sont dites prêtes à dénoncer les différentes formes de violations dont elles seraient victimes ou témoins. Au terme de la session de formation, chaque femme a reçu un kit composé de matériel et de matières premières en vue de lancer son AGR. En effet, les femmes et filles et déplacées internes vivent pour la plupart dans une situation d’extrême précarité. Les former sans leur donner les moyens de démarrer leur activité serait totalement improductif. Afin de leur permettre de tirer profit de la formation qu’elles ont reçue, il était donc nécessaire qu’elle soit accompagnée d’un soutien matériel.
Finalement, durant la période de mise en oeuvre, j’ai également pu rencontrer cinq institutions basées à Ouagadougou et présenter mon projet afin d’obtenir de potentiels financements. Ainsi, j’ai présenté mon projet à la Commission nationale des droits humains (CNDH), au Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), au National Democratic Institute (NDI), au Bureau de la Coopération suisse au Burkina Faso et à l’Ambassade de France. Toutes ces structures ont reconnu la pertinence du projet et l’importance des questions de droits humains qui y sont abordées. Elles m’ont également félicitée pour l’obtention du prix lauréat et m’ont laissé entendre qu’elles tenteraient d’intégrer le projet dans leurs futurs programmes. Bien que je n’aie pas encore obtenu tous les financements nécessaires à la mise en oeuvre complète de toutes les activités prévues, je reste optimiste et compte persévérer dans mes recherches de fonds. Beaucoup reste à faire pour le projet, mais un pas de géant a été effectué avec les premières activités réalisées. La problématique des déplacements forcés au Burkina Faso est une question cruciale, qui me tient énormément à cœur et je désire contribuer à la résolution de ce problème.
Suivi et premiers retours des activités menées
Comme dans toute gestion de projet, la mise en œuvre des activités prévues est cruciale mais le suivi qui doit être fait par la suite l’est tout autant. Ce suivi post-formation permet de ne pas laisser les participantes livrées à elles-mêmes et assure l’atteinte de résultats. C’est pourquoi, à l’issue de la formation, sur initiative du GRASH, les femmes ont décidé de former une association. Bien que cette dernière reste, pour le moment, informelle, elle permet de dynamiser les femmes et d’améliorer leur production. Celles qui n’avaient pas assimilé correctement les différents modules peuvent également parfaire leur apprentissage auprès de celles qui maîtrisent bien la fabrication des différents types de savons. Des moyens de suivi – notamment par téléphone – ont également été mis en place pour s’assurer que le GRASH soit tenu informé des avancées et que les participantes puissent demander un soutien lorsqu’elles en ont besoin. Par ailleurs, une visite de la formatrice est prévue courant août 2024 pour vérifier l’évolution des activités des femmes sur le terrain.
En ce qui concerne les premiers retours, je suis ravie de constater que les participantes ont d’ores et déjà débuté leurs activités et que des résultats sont déjà perceptibles. Elles ont notamment reçu des commandes de savon Kabakourou de la part de vendeuses de Ouagadougou. De plus, la formation a été saluée tant par les autorités locales que par les femmes elles-mêmes qui n’ont pas manqué de manifester leur joie et leur reconnaissance au GRASH pour l’opportunité qu’elles avaient eu. Selon Mme Aissatou Ouedraogo, la représentante des participantes, la formation qu’elles ont reçue va au-delà d’un soutien quelconque, il s’agit, pour elles, tout d’abord d’un soutien moral. En effet, cette initiative est la preuve qu’elles ne sont pas oubliées et que, même au-delà du Burkina Faso et de l’Afrique, certaines personnes sont sensibles au sort des PDI, particulièrement les femmes et les filles. Elles ont manifesté le souhait que d’autres femmes déplacées internes puissent bénéficier d’une telle opportunité de formation. Une grande fierté est également ressortie des témoignages des participantes. Elles ont trouvé la formation très efficace et compréhensible et se sentent capables de maîtriser leur nouvelle activité.
L’expérience du CAPI
La formation organisée par le Codap à Genève a été une expérience inoubliable pour nous, jeunes défenseur·se·x·s des droits humains. Elle nous a permis d’acquérir de nouvelles compétences et de renforcer notre engagement en faveur des droits humains. Personnellement, le CAPI m’a permis de renforcer mes connaissances dans le domaine du plaidoyer international et de la gestion de projet. Les modules qui nous ont été dispensés et la méthodologie utilisée ont été efficaces. Cette expérience unique a été un tremplin pour moi dans la réalisation de mon projet personnel. Le Codap a en effet joué un grand rôle dans la réalisation de la formation en saponification en soutenant mes rencontres institutionnelles et les demandes de financement que j’ai pu soumettre. J’espère que ces dernières seront fructueuses et qu’elles me permettront de mettre en œuvre mon projet de manière complète. J’espère que le CAPI continuera d’inspirer les jeunes générations d’activistes à travers le continent africain et dans le monde.