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Le mouvement de la Gen Z à Madagascar : quand la jeunesse dénonce l’injustice

16 décembre 2025

Article rédigé par Vanisha Ralisa, bénévole au Codap

L’actualité des derniers mois fait écho avec l’engagement des jeunes et leur potentiel d’impact. Les mouvements « Gen Z », des manifestations organisées et menées par les jeunes de la génération Z, remettent en cause l’ordre établi et font pression sur les autorités et gouvernements dans plusieurs pays à travers le monde. En Afrique, en Asie, en Amérique latine ou encore en Europe de l’Est, les revendications sont nées de différentes causes liées au contexte de chaque pays. Cependant, ce qui réunit ces mouvements, c’est la lutte pour plus de justice sociale de la part d’une jeunesse insatisfaite et dont les droits humains sont bafoués.

A Madagascar, le peuple à soif

A Madagascar, tout commence le 25 septembre 2025 où des milliers de jeunes descendent dans les rues des grandes villes du pays pour manifester leur mécontentement et leur souffrance. Deux raisons principales animent leur colère : les coupures d’électricité et les coupures d’eau incessantes1.

Cette atteinte aux droits fondamentaux les plus basiques, je l’ai moi-même constatée, l’année dernière, lors d’un voyage sur place. Des membres de ma famille, des amis, des chauffeur·se·x·s, des commerçant·e·x·s, tous subissaient des coupures d’électricité et n’avaient pas d’accès à l’eau chez eux. Certain·e·x·s devaient même se rendre à un point d’eau à l’aube et faire la queue pour pouvoir remplir un seau d’eau froide. Et ça, en plein cœur de la capitale. Madagascar est pourtant une terre riche en eau, mais les infrastructures et la gestion des ressources sont entravées par les ingérences du gouvernement et la corruption des entreprises.

Après avoir milité pour l’accès à l’eau et à l’électricité, les revendications de la Gen Z sont allées plus loin en dénonçant la corruption du gouvernement et en exigeant que l’ordre soit rétabli, à savoir en demandant la démission du président Andry Rajoelina2. Le respect des droits à la santé, à la sécurité, à l’éducation et à la liberté d’expression faisait également partie de leurs exigences. Les manifestations sont restées pacifiques, le peuple a exprimé son désespoir avec émotion, utilisant sa voix pour dénoncer l’injustice et faire changer les choses. Pourtant, ces manifestations ont été violemment réprimées par les forces de l’ordre avec l’utilisation de gaz lacrymogène, de grenades assourdissantes, des violences physiques et des tirs de balles réelles3. De nombreuses atrocités ont été commises par la police et diffusées sur les réseaux sociaux. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, Volker Türk, s’est dit choqué par la réponse violente des autorités et a demandé le respect des droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique4. Pourtant, les répressions ont continuité avec davantage de violence.

Les nouveaux moyens d’action utilisés par la jeunesse

Le mouvement a pu naître et se mobiliser grâce à l’utilisation de plateformes numériques telles que Discord et Facebook. Des jeunes qui ne s’étaient jamais vus ont été inspiré·e·x·s par les vidéos du mouvement Gen Z au Népal, où les manifestations ont permis le renversement du gouvernement. Grâce à leur présence en ligne, les Malagasy5 ont réussi à coordonner un mouvement à l’échelle nationale. Cela démontre une utilisation efficace et positive des moyens de communication dont dispose la jeunesse aujourd’hui. C’est l’exemple d’un monde hyperconnecté dans lequel les jeunes peuvent s’inspirer les un·e·x·s et des autres pour militer à leur tour, dans leur propre pays. Évidemment, cette force, le gouvernement l’a bien saisie et n’a pas attendu pour mener des répressions également dans le monde numérique. Stratégies de signalement massif, campagnes de désinformation destinées à saturer les fils d’actualité et à masquer les faits, intimidations et menaces envers les militant·e·x·s, suppressions arbitraires de comptes sont autant d’atteintes à la liberté d’expression utilisées par le gouvernement. Malgré la répression, la force de ce mouvement a résidé dans la diffusion continue de photos, de vidéos et et de témoignages documentant les violations des droits humains, et dans sa détermination à ne pas se taire.

Un tournant pour le peuple

Le 11 octobre 2025, après deux semaines de manifestations et de lutte entre militant·e·x·s et forces de l’ordre, l’unité militaire du CAPSAT6 lance publiquement un appel aux militaires, gendarmes et policiers à désobéir aux ordres de tirer sur la population. Cet appel marque un tournant : les militaires protègent désormais les manifestant·e·x·s et montrent leur soutien au peuple. Iels ouvrent même la voie à la foule pour lui permettre de se rendre sur la place du 13 mai, jusque-là interdite aux manifestations depuis plusieurs années7. Cet accès à la place du 13 mai, située sur l’avenue de l’Indépendance à Antananarivo, symbolise une première victoire du peuple mené par la jeunesse. Le même jour, le président Andry Rajoelina fuit le pays, exfiltré par un avion militaire français.

Le mouvement aboutit à une refonte du gouvernement

Fatigué par la corruption, la pauvreté, la misère et la violation de ses droits fondamentaux, le peuple Malagasy a montré un élan de solidarité afin de dissoudre un système corrompu ayant plongé le pays dans une pauvreté extrême. La population réclame désormais un véritable renouveau dans la gouvernance. Actuellement, le pays est dirigé par le colonel Michaël Randrianirina, commandant militaire du CAPSAT, le même qui avait appelé à mettre fin à la répression des manifestant·e·x·s. Il est à la tête du gouvernement provisoire, le Conseil Présidentiel de la Refondation de la République de Madagascar, chargé d’assurer une transition vers un nouveau gouvernement qui sera élu au cours des deux prochaines années. L’ensemble des ministres a été remplacé pour accompagner cette transition. Ce gouvernement provisoire montre une volonté d’inclure davantage la société civile et d’être au service du peuple et de la jeunesse. Quant à la Gen Z malagasy, elle observe attentivement les actions de cette nouvelle administration et se tient prête à descendre à nouveau dans la rue en cas de manquement aux engagements pris envers la population8.

Une belle leçon

La Gen Z à Madagascar a lancé un mouvement qui se voulait, au départ, social et apolitique. Toutefois, avec la tournure des événements, il incarne désormais une révolution démocratique et populaire, déterminée à bâtir une société plus libre, égalitaire et solidaire, rompant avec les héritages nocifs du passé.

Les défis auxquels est confronté le pays sont toujours présents : l’accès à l’eau, à l’électricité et à l’éducation restent des priorités majeures. Pour autant, la jeunesse a montré qu’en s’unissant pour dénoncer l’injustice, de manière massive et persévérante, les choses peuvent bouger. En tant que jeune défenseuse des droits humains, j’ai décidé de m’engager pour soutenir ces changements cruciaux à Madagascar en créant l’association Mada Matters. A travers cet article, j’encourage chaque jeune à s’engager à son niveau pour un avenir plus juste, qui nous appartient dès aujourd’hui.


  1. Manifestations à Madagascar : « On veut vivre, pas survivre » ↩︎
  2. À Madagascar, le limogeage du gouvernement suffira-t-il à calmer la fronde ? ↩︎
  3. Madagascar imposes curfew amid violent blackout protests, Africanews ↩︎
  4. Madagascar : le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme choqué par la réponse violente aux Manifestations contre les coupures d’électricité et d’eau | OHCHR ↩︎
  5. Personnes originaires de Madagascar. ↩︎
  6. Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques. ↩︎
  7. À Madagascar, des militaires qui ont appelé à désobéir rejoignent les manifestants au coeur de la capitale | TV5MONDE – Informations ↩︎
  8. VIDÉO. Madagascar : nomination de 29 nouveaux ministres, dont 4 qui figuraient sur la ‘liste noire’ de la Gen Z | TV5MONDE – Informations ↩︎

 © RIJASOLO / AFP

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